Plutôt améfricains que latino-américains

Plutôt améfricains que latino-américains

 

Le poète moderniste Oswald de Andrade écrivait dès 1924 dans son célèbre Manifeste de la poésie Bois -Brésil Pau Brasil – :  » Nous voulons une langue sans archaïsmes, sans érudition. Naturelle et néologique. La contribution millionnaire de toutes nos fautes et erreurs. La langue comme nous la parlons, telle que nous sommes.  »

En quelques mots, Oswald de Andrade s’autorisait à écrire comme on parle et, du même coup, montrait la voie que suivraient les écrivains brésiliens identifiés à la langue orale, c’est à dire, à un parler lent, presque chanté, aux voyelles ouvertes, réinventé par les Noirs, un portugais insensiblement façonné par la nostalgie de l’Afrique et rythmé par elle.

Donc, dès les années vingt, les modernistes divisaient les eaux de la littérature brésilienne. Sur une rive ceux qui styliseraient la langue parlée, sur l’autre, les puristes, ceux qui , au nom du bien écrire, seraient capables de téléphoner à Lisbonne pour y prendre leurs consignes langagières comme le disait un autre moderniste, Mario de Andrade, auteur de Macounaima – Macunaima – un roman dont le héros est un noir qui tire son nom de la langue des Indiens tupi-guarani, un héros déjà métis.

Les modernistes ont changé le cours de notre littérature , mais se sont-ils, pour autant , séparés du Portugal ? Oui, sans doute, mais paradoxalement pour renouer avec lui, puisque ces écrivains brésiliens ont procédé comme Camões, l’auteur des Lusiades. Ils ont toujours préféré comme lui les formes populaires aux formes érudites. Ils n’ont jamais hésité, comme Camões, à briser la syntaxe classique au bénéfice du rythme; à sacrifier la grammaire pour faire valoir le parler du peuple en le stylisant.

En d’autres termes, je dirais que nous ne parlons pas le brésilien, mais bien le portugais du Brésil et que, par la mise en relief de nos parlers populaires, les écrivains qui se reconnaissent dans le Manifeste de la Poésie Bois Brésil sont des lusophones à la manière de Camões.

Bref, les nouveaux camoniens, les camoniens du Brésil.

Notre langue écrite privilégie le rythme parce que, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, c’est la musique qui nous transporte, l’Afrique qui s’impose. Nous sommes beaucoup plus des améfricains que des latino-américains.

C’est toujours à cause de ce rapport à la musique que nous faisons la grimace à la grammaire. Nous sommes en quelque sorte condamnés à cette irrévérence pour ne pas nous couper de la réalité.

Traduire une telle littérature dans des langues dont le registre littéraire ne coïncide pas avec celui de la langue parlée – cas du français – est bien le défi à relever pour que notre art se diffuse.

Afin qu’une littérature sorte de sa langue d’origine, de son champ clos, elle doit rencontrer des traducteurs amoureux de la différence, des artistes capables d’aller et venir d’une langue à l’autre jusqu’à tenir enfin le texte traduit, texte dans lequel les lecteurs se reconnaîtront, malgré le monde lointain mis en scène par l’ écrivain étranger.

N’était le traducteur littéraire, cet auteur singulier qui renonce à sa paternité, jamais la littérature ne serait une patrie sans frontières. Nous serions tous condamnés au nationalisme littéraire –  » moins nocif que le réalisme socialiste, mais comme lui également stérile  » ainsi que l’a écrit Octavio Paz.

La diffusion d’une littérature étrangère dépend donc de cette sorte de passeur métissé qu’est le traducteur. Sa vocation nous est indispensable pour que l’esprit de la culture métisse brésilienne souffle sur la France, laquelle affirme avec Descartes  » Je pense, donc je suis » mais sait dire à la manière de Rabelais  » Je ris donc je suis « . C’est juste ce qu’il faut pour accueillir le Brésil, pays qui est sérieux parce qu’ il donne au rire toute sa place et que la fête lui est essentielle,comme le jeu.